Le Festival de Cannes ou Le Temps perdu
Santiago H. Amigorena Dans cet avant-dernier volume dâune entreprise romanesque autobiographique hors normes (Le Dernier livre), lâauteur entreprend de faire le rĂ©cit de 40 ans de prĂ©sence au festival de Cannes, depuis 1985. Le Festival de Cannes agit comme le « miroir grossissant » des espoirs et des dĂ©faites dâune existence. Comme une formidable anamnĂšse dâun parcours, des rĂȘves et des dĂ©sillusions, des amitiĂ©s et des amours â notamment avec des actrices cĂ©lĂšbres, quand lâauteur pĂ©nĂštre soudain, grĂące Ă leur notoriĂ©tĂ©, au coeur de ce monde dans lequel il a pourtant le sentiment de vivre une forme dâexil. Chacun de ces voyages, dans cette atmosphĂšre festive, artistique, souvent superficielle et dĂ©lĂ©tĂšre, reprĂ©sente une sorte de petite « madeleine » condensant les mirages dâune vie, et la magie du « temps perdu ». Le cĂ©lĂšbre festival devient la chambre noire de la cruautĂ© et de la vanitĂ© sociale, mais aussi des illusions perdues.
Cannes et le cinĂ©ma, câest aussi la tentation indĂ©finiment recommencĂ©e qui dĂ©tourne le narrateur de sa vraie vocation : lâĂ©criture. Ce quâil dĂ©joue, dâune certaine façon, en racontant les fĂȘtes, les dĂźners, les projections, les palaces, les stars, les villas somptueuses, les invitations VIP, jusquâaux ruses et expĂ©dients pour sâintroduire dans ce monde, et les hĂŽtels miteux de la CĂŽte quand on nâa plus ou pas encore la « carte ». Mais chaque pĂ©ripĂ©tie provoque un aveu, retrouve et dissipe un regret. Toute une existence est Ă la fois retrouvĂ©e et rĂ©inventĂ©e dans lâĂ©puisement des mĂ©tamorphoses des codes de sociabilitĂ© et des coteries elles-mĂȘmes. Jusquâaux fantĂŽmes du vieillissement dont la rĂ©vĂ©lation douce-amĂšre sâeffectue sous les lumiĂšres factices dâune ultime fĂȘte. Roman de la fin dâun monde, dont les derniĂšres pages font irrĂ©sistiblement penser au « Bal des tĂȘtes », Ă la fin du Temps retrouvĂ© de Proust : « Je fis quelques pas au milieu de la foule. CâĂ©tait flagrant : chacun semblait sâĂȘtre ââfait une tĂȘteââ [...] actrices, acteurs autrefois cĂ©lĂšbres, le temps avait tant travesti leurs traits quâon avait envie de les fĂ©liciter de sâĂȘtre si merveilleusement grimĂ©s. »
Au terme dâune ultime mĂ©tamorphose, un monde sâachĂšve, pour que sâaccomplisse sa recrĂ©ation poĂ©tique dans lâĂ©criture du livre. Si Le Festival de Cannes est bien le roman de la « fin dâun monde », il est surtout celui dâune oeuvre puissante qui ne peut commencer quâune fois accomplie lâinitiation de son « auteur » et de son lecteur.
Genres:
352 Pages